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Appel à articles: Journalistes et publics face aux « fake news »

Un appel à articles est proposé pour le supplément A 2023 de la revue scientifique “Les enjeux de l’information et de la communication”. Ce numéro, consacré aux Journalistes et publics face aux “fake news” est coordonné par Vincent Carlino (CHUS/Crem, Université catholique de l’Ouest) et par Nathalie Pignard-Cheynel (Académie du journalisme et des médias, Université de Neuchâtel).

Ce supplément s’inscrit dans le cadre d’une interrogation critique de la notion de « fake news » à partir des pratiques et logiques informationnelles et communicationnelles qu’elle met au jour. L’emploi de l’expression « fake news » en tant que notion anime des débats dans les sciences humaines et sociales. De nombreux travaux interrogent l’expression pour la déconstruire, et analysent ses manifestations sur les espaces numériques. L’objectif de ce dossier est de saisir la manière dont les « fake news » (re)configurent les relations entre les professionnels de l’information et leurs publics.

Traditionnellement situé en 2016, l’essor des « fake news » intervient en écho à des événements politiques singuliers tels que les élections présidentielles américaines ou la campagne du Brexit qui interrogent la crédibilité accordée aux sources d’information, ainsi que les rapports aux institutions (politiques, scientifiques, médiatiques). Dans ses utilisations, l’expression désigne la production de contenus délibérément faux ou des stratégies de délégitimation de journalistes et de médias par des acteurs politiques (Egelhofer, Lecheler, 2019). En tant que « formule » (Krieg-Planque, 2009), les « fake news » s’inscrivent dans une séparation normative entre des contenus vrais et faux. Une telle posture est toutefois difficilement tenable, si bien que d’autres typologies ont été proposées pour rendre compte de la diversité de leurs formes, en se focalisant davantage sur les motivations et intentions présidant à la production (et à la diffusion) de tels contenus. Ainsi, Tandoc et al. (2018) soulignent une composante essentielle : l’intention de tromper ou d’induire en erreur, combinée à une prise de distance vis-à-vis des faits et de la vérité. La catégorisation proposée par Wardle et Derakhshan (2017), en articulant le degré de véracité de l’information et l’intention de nuire, distingue deux expressions du « désordre informationnel » : la désinformation (production de contenus mensongers avec pour intention de tomper) et la mésinformation (création et diffusion involontaire d’informations fausses).

Plusieurs travaux récents en sciences de l’information et de la communication se sont attachés à un retour critique et historique sur les « fake news » et les rumeurs médiatiques (Brétéché, Cohen, 2018 ; Pinker, 2020), ainsi que sur les conflits inhérents aux luttes de pouvoir liés à l’énonciation du « vrai », à la constitution de savoirs scientifiques et leur médiation (Bodin, Chambru, 2019 ; Boullier, Kotras, Siles, 2021). Ils montrent que les enjeux des « fake news » ne se situent pas uniquement dans les acceptions plurielles de la « vérité », mais aussi dans les pratiques sociales et professionnelles liées à la production et au partage d’informations. En cela, les « fake news » constituent un objet info-communicationnel qui combine des pratiques de diffusion et de mise en circulation d’informations erronées qui se rattachent à des événements et à des croyances, dont les contenus sont diffusés par des « influenceurs » et figures d’autorité qui participent à la formation de communautés idéologiques sur les espaces socio-numériques (Giry, 2020).

Ce supplément a pour objectif de prolonger cette perspective en interrogeant la manière dont le développement des « fake news » (re)configure les liens entre journalistes et publics. Partant d’une acception des « fake news » désignant la production et la diffusion d’informations délibérément trompeuses et dont les réseaux socionumériques amplifient la portée (Lazer et al. 2018 ; Vosoughi, Roy, Aral 2018), il s’agit d’explorer comment ces fausses informations, saisies dans leur diversité pouvant aller des rumeurs jusqu’au conspirationnisme, modifient les pratiques des publics et des journalistes ainsi que la manière dont elles s’articulent.

Les contributions pourront s’inscrire dans l’un des axes suivants :

Axe 1 – Les « fake news » et leur circulation sur les plateformes numériques

La circulation de « fake news » peut correspondre à la constitution de communautés politiques et idéologiques sur les espaces numériques. Le partage de contenus trompeurs n’est pas simplement l’indice d’une adhésion d’internautes crédules, mais peut matérialiser la formation de publics visant à porter un discours critique à l’égard des médias et des institutions. Les pratiques informationnelles des publics participent de cette politisation, à travers l’utilisation des fonctionnalités de partage, de commentaire, ou de like spécifiques aux réseaux socionumériques et qui contribuent à renforcer la visibilité des contenus dans des arènes numériques (Badouard, Mabi, Monnoyer-Smith, 2016). Les contributions pourront rendre compte des pratiques informationnelles qui contribuent à une circulation accrue des « fake news » sur les plateformes numériques. Elles pourront notamment reposer sur des ethnographies de communautés numériques de façon à rendre compte du déploiement de pratiques de commentaire, de partage et de documentation dans la propagation de rumeurs ou de théories du complot (Rebillard, 2017). La conception et la diffusion de contenus trompeurs à visée politique pourront être analysées, de même que les stratégies de lutte de (dé)crédibilisation de personnalités publiques (Théviot, 2020).
Les dimensions sociales, économiques et politiques liées à la circulation de fausses informations et à leur régulation sur les plateformes numériques pourront être interrogées. L’analyse du fonctionnement des algorithmes de ces plateformes est à envisager, dans le but notamment de dépasser le phénomène de « bulles de filtres » et d’identifier les potentiels biais politiques et idéologiques inhérents au fonctionnement des plateformes. Les auteurs pourront en particulier explorer le rôle des infomédiaires et de leurs algorithmes dans l’exposition aux contenus, leur publicisation et leur recommandation auprès des publics. L’étude de campagnes politiques qui reposent sur la récolte, l’exploitation et l’analyse de données de réseaux socionumériques à des fins de ciblage de promotion de contenus sera particulièrement appréciée. Les contributions pourront aussi s’appuyer sur des analyses quantitatives relevant par exemple des big data ou digital methods pour tracer les circulations des « fake news » sur les plateformes numériques.

Axe 2 – Les publics, leur rôle et leurs pratiques

Cet axe interroge, de manière critique, les « fake news » en tant que processus de communication complexe ne pouvant se réduire à une simple influence sur les individus. Alors que ces derniers sont souvent présentés comme « crédules » (réactivant le modèle des effets forts des médias), l’étude des publics conduit à saisir les modalités d’appropriation et le rôle actif des récepteurs dans la mise en circulation des fausses informations (Pennycook, Rand, 2019). En effet, le partage et la mise en discussion de rumeurs dans le cadre de pratiques sociales sur des réseaux socionumériques ou des applications de messagerie (Machado et al. 2019 ; Berriche, Altay 2020) invitent à interroger la pertinence d’une séparation entre l’activité de « réception » et de « diffusion », les usagers se situant fréquemment entre ces deux positions. Les questions suivantes pourront notamment être traitées : En quoi la réception des « fake news » est-elle ou non différente de celle des contenus médiatiques et informationnels ? Comment penser le rôle des récepteurs dans la diffusion des « fake news » et leur poids dans la circulation des contenus ? Quelles clés de lecture les publics développent-ils dans leurs pratiques pour discuter et pour vérifier l’information ?
Les contributions pourront analyser la manière dont les pratiques de commentaire et de partage des (fausses) informations participent à la réception et à la crédibilité attribuée aux sources, mais également aux profils des individus qui partagent des informations (Altay et al, 2020) dans la continuité de travaux sur la discussion des contenus médiatiques (Bastard, 2019 ; Boullier, 2004). L’accent pourra aussi porter sur la mise en discussion des « fake news » dans les différentes arènes qui composent l’espace public numérique, en particulier dans les espaces médiatiques. Quels rapport les individus ont-ils avec les producteurs d’informations en ligne ? Quelles sources favorisent-ils et selon quels critères voire quelles valeurs (idéologiques, politiques) ? Les contributions portant sur les enjeux méthodologiques et éthiques de l’analyse de réception des « fake news » et de leur circulation sur des plateformes numériques semi-ouvertes (réseaux sociaux, applications de messagerie) seront appréciées.

Axe 3 – Les journalistes, leurs pratiques professionnelles de vérification et les formats éditoriaux

Les « fake news » modifient les pratiques de vérification des journalistes (et leur mise en visibilité), à travers notamment le développement du fact-checking déployé dans un premier temps dans le champ professionnel anglo-saxon puis en France depuis les années 2010 (Bigot 2019). La constitution de ce « genre » journalistique en réaction à la diffusion de « fake news » a notamment participé à la légitimation de pratiques professionnelles fondées sur la vérification et le journalisme de données (Vauchez, 2019 ; Doutreix, Barbe, 2019). L’évolution des « types » de désinformation, à travers la circulation croissante de rumeurs et de contenus sur les plateformes numériques, diversifie ces pratiques en les faisant évoluer vers des formes de debunking. Le financement de contenus de vérification via des partenariats qui allient Google, Facebook et des médias d’information illustre cette tendance d’une incitation à vérifier des rumeurs plutôt que des déclarations politiques (Graves, Mantzarlis 2020 ; Nicey, Bigot 2020).
Cet axe se propose ainsi d’étudier les pratiques de fact-checking, non seulement dans leur dimension épistémologique, mais aussi au prisme du rapport qu’elles construisent aux publics. Il invite ainsi à une réflexion sur les pratiques et les formats éditoriaux tournés vers les (jeunes) publics pour renouveler l’enquête et la vérification, mais également à une exploration de nouvelles pratiques davantage fondées sur la transparence, la mise en discussion de l’information, la conversation entre publics et journalistes et plus largement la réactivation de formes de journalisme participatif (Pignard-Cheynel, 2018 ; Singer et al. 2011), par exemple à travers des applications de discussion instantanée telles que Discord ou WhatsApp. Des travaux portant sur les marges de l’espace journalistique et médiatique, tels les formats de vérification et de « debunking » mis en œuvre par des YouTubeurs « amateurs » ou « experts », sont également attendus.
Enfin, une orientation plus organisationnelle pourra être retenue en étudiant la manière dont les médias favorisent et agencent ces pratiques, que ce soit par l’allocation de ressources financières ou techniques spécifiques, la création de postes voire de cellules dédiés (de fact-checking notamment) ou encore la mise sur pied de collaborations nouvelles, à l’interne ou avec des tiers.

Axe 4 – Les enjeux de formation des journalistes et des publics

Les évolutions des pratiques d’information des publics, des « fake news » et du fact-checking entraînent de nouveaux enjeux de formation, notamment dans les écoles de journalisme et les lieux de formation professionnelle. Comment sensibiliser les (futurs) journalistes à la circulation des fausses informations sur les plateformes numériques ou à leur diffusion dans des espaces de discussion semi-clos (tels que les applications de messagerie privée ou les groupes Facebook) ? Comment prendre position vis-à-vis de fausses informations et de théories conspirationnistes dont la diffusion laisse supposer qu’elle gagne un public plus large, y compris dans les publics de médias établis, au nom du droit de « douter » ? La pratique du fact-checking doit-elle être introduite dans le curriculum de l’enseignement du journalisme ? Et faut-il intégrer davantage la compréhension des pratiques informationnelles des publics dans l’apprentissage du journalisme ? Sous quelle(s) forme(s) ? Au-delà de la formation initiale des journalistes, ce sont également la formation continue et les certifications professionnelles qui pourront faire l’objet d’analyse pour saisir comment la profession intègre – ou non – ces évolutions et conduit à une redéfinition du socle de compétences du journaliste.
Les enjeux de formation s’étendent au-delà de ce cadre professionnel, dans la sensibilisation des publics via l’éducation aux médias. Cet axe entend aborder ce domaine aujourd’hui évolutif sous l’angle spécifique de la participation des médias et des journalistes à l’effort de formation des (jeunes) publics en matière d’information et plus spécifiquement de lutte contre les fake news. Quelle place les journalistes occupent-ils dans le renouvellement de ces activités éducatives ? Cette implication traduit-elle l’émergence d’un rôle que doivent endosser aujourd’hui les journalistes, celui d’expliquer la fabrique de l’information et d’accompagner les publics dans leur appréhension et leur compréhension des contenus auxquels ils sont exposés ? Dans un champ d’action déjà bien institutionnalisé (Petit, 2020), comment journalistes et professionnels des médias se mobilisent-ils aux côtés d’autres acteurs (écoles, associations, bibliothèques, chercheurs, etc.) ? Quelles difficultés pose cette collaboration, en termes de différences de cultures et de visions, de ressources et de pratiques, voire de considération et de légitimité de ces acteurs ? Il pourra s’agir dans cet axe d’analyser des dispositifs d’éducation à l’information et aux médias qui ambitionnent spécifiquement de lutter contre la désinformation, en associant des journalistes.

Modalités de soumission

Les propositions d’articles (5 000 signes espaces comprises, bibliographie indicative non comprise) comprendront un titre, une présentation de l’article et de son cadre théorique, de l’objet et des méthodes mobilisées ainsi que les nom, prénom, statut, rattachement institutionnel et email de l’auteur.trice.

Elles sont à adresser aux coordinateur·rice·s du dossier pour le 15 juin 2022, aux adresses suivantes :
nathalie.pignard-cheynel@unine.ch
vcarlino@uco.fr

Calendrier

Réponses aux auteur.trices : 4 juillet 2022
Articles attendus : 26 septembre 2022
Retour d’évaluation : 2 novembre 2022
Versions après évaluation (V2) attendues : 9 janvier 2023
Publication : mars 2023

 

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